Prostituée marlgré elle
Prostituée malgré elle
Jany, c’est ainsi que nous l’appellerons, vient d’arriver à Paris. Originaire du Burkina Faso, violée, battue, exploitée, elle pensait qu’en Europe sa vie allait enfin devenir acceptable. A vrai dire, elle n’a pas eu le choix. Emmenée de force avec sa sœur, sous la pression d’incantations initiatiques et de menaces de mort, elle se retrouve là à vendre son corps, à 20 ans, sur les trottoirs de la capitale. Malgré les risques, elle a accepté de raconter son histoire.
« Mon père est mort quand j’avais huit ans. Comme j’étais
issue d’une famille polygame et que ma mère ne gagnait pas assez d’argent pour
nourrir tous ses enfants, elle m’a envoyée chez une tante, une sœur de mon père
qui habite à Bobo Dioulasso, avec une des mes sœurs. Cette femme nous obligeait
à faire toutes les corvées. Elle refusait qu’on aille à l’école. Il fallait
balayer, puiser l’eau, laver par terre, faire la lessive, cuisiner, repriser
les vêtements... On avait à peine le temps de dormir. Dès que nous traînions un
peu, elle nous chicotait. Son mari, lui, profitait de nous. Au début, il nous
touchait et on pensait que c’était des gestes affectueux. Et puis, un jour, il
nous a violées, toutes les deux. Ça nous faisait mal mais il continuait. Il a fait
ça plusieurs fois. Avec ma sœur, nous avons voulu fuir. Une nuit, nous avons
fugué et nous avons marché sur la route du village où logeait maman. Après
plusieurs jours de marche, nous avons retrouvé notre mère. Elle était furieuse.
Elle n’a pas pris la peine de nous écouter et elle nous a déposées dès le
lendemain dans un bus pour Bobo-Dioulasso.
Prostituée par son oncle et sa tante
Quand nous sommes revenues chez notre tante, les choses se sont
gâtées. Elle et son mari nous ont dit que nous ne servions à rien, que nous
leur coûtions de l’argent. Depuis lors, tous les soirs, le mari nous
accompagnait dans un maquis un peu plus loin pour mendier. Là-bas, on devait
charmer les clients pour qu’ils nous donnent de l’argent. Ça voulait dire en
fait faire l’amour. Et puis nous rapportions l’argent. Le patron du maquis nous
surveillait. Nous ne pouvions pas nous enfuir, ni même tricher. Sinon, mon
oncle et ma tante nous chicotaient. Moi, j’avais quinze ans et ma sœur,
dix-huit ans. Peu de temps après, une des filles de ma tante nous a dit qu’elle
avait une solution pour nous. Elle nous a dit qu’elle pouvait nous aider et
que, grâce au patron du maquis, on pourrait partir en Europe. Pour nous, ça
voulait dire être riches et tranquilles.
Ma tante, mon oncle et le patron du maquis nous ont emmenées voir
un marabout pour célébrer le départ, nous protéger pendant le voyage et nous
assurer fortune et bonheur. Le début du voyage devait commencer par le Nigeria.
Notre tante nous a accompagnées jusqu’à Bénin-City. Là-bas, une connaissance de
ma tante nous a dit que pour aller en Europe, il fallait passer des castings.
Lorsque nous sommes arrivées, des femmes dansaient, des hommes criaient.
C’était une grande fête. Il y avait un autre marabout et beaucoup de jeunes
filles comme nous. Le marabout nous a fait boire des boissons à base de
plantes. Tout s’est mis à tourner autour de nous. Je me souviens qu’on nous a
forcées à nous déshabiller.
Epreuves initiatiques
Le marabout disait qu’il fallait réussir plusieurs épreuves. Des
femmes nous montraient comment faire l’amour et il fallait faire les meilleures
fellations. Ça a duré plusieurs jours. C’était la condition pour pouvoir
partir. Mais une fois là-bas, nous ne pouvions plus faire machine arrière. Le
marabout et ceux qui l’assistaient menaçaient de tuer notre mère et nos frères
si nous n’obéissions pas. Le jour du départ, le marabout et ma tante nous ont
montré deux petites pochettes dans lesquelles il y avait nos rognures d’ongles,
des poils et du sang qui nous appartenaient. Ils disaient que, grâce à ces
sachets, ils pouvaient agir sur nous comme ils le souhaitaient et tuer nos
parents si on ne leur envoyait pas l’argent pour rembourser les frais du
voyage. Notre tante nous a dit qu’on avait tout intérêt à obéir, que c’était une
chance pour nous et qu’elle attendait beaucoup d’argent de notre part.
Nous, nous savions ce qu’on allait devoir faire. Nous ne voulions
pas faire ces choses. C’était dégoûtant et ça faisait mal. Mais, nous pensions
qu’en Europe, la vie allait être plus facile. Et de toutes façons, nous
n’avions pas vraiment le choix.
Rêve d’une vie meilleure
Nous étions une dizaine à partir. Le voyage a duré plusieurs
mois. Nous prenions des bus ou des taxis brousse. A chaque escale, ceux qui
nous emmenaient nous faisait travailler, malgré la fatigue et les douleurs.
Pour passer d’un pays à l’autre, il nous fallait de nouveaux papiers. C’est au
Maroc, puis en Italie et en France, que nous avons eu le plus de problèmes. En
Afrique, les passeurs s’arrangeaient avec les policiers et les douaniers.
Souvent, il suffisait d’un bakchich. Mais quand nous sommes arrivés au Maroc, à
Tanger -, nous avons eu peur de ne pas pouvoir sortir. Il y avait beaucoup
de clandestins. Certains attendaient depuis plusieurs mois pour pouvoir traverser
la mer. Nous avons finalement pu passer assez rapidement. Les passeurs nous ont
donné des passeports venus d’Italie. Puis nous avons pris le bateau.
Nous avons travaillé quelques jours en Italie. Je ne pensais pas
qu’il y avait autant d’Africains là-bas. Je me suis rendu compte qu’ils étaient
malheureux. Les clients, des Italiens, nous prenaient de haut et parfois nous
maltraitaient. Nous sommes arrivées à Paris il y a deux mois seulement. Les
Français semblent plus gentils. Nous sommes toutes très fatiguées et je ne me
rends pas encore bien compte. Tout ce que je souhaite, c’est trouver un mari,
recommencer une nouvelle vie. Mais pour ça, il faut que je rembourse et donne
de l’argent à ma tante. Les mamas qui s’occupent de nous ici nous ont conseillé
de faire tout ce qu’elles demandent. Une des filles a essayé de partir. Elle
s’est fait battre et on l’a menacée de mort, elle et sa famille. J’ai peur pour
ma sœur et pour ma mère. »